La pire des dystopies ?

Par Jeanne D’Anglejan
Quand on dit “dystopie”, on pense Hunger Games et 1984.
Pourtant, il y en a une autre, écrite en 1932, moins connue, mais tout aussi édifiante.
Le Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley (1894-1963) est un « must » de la bibliothèque des dystopies.
L’auteur imagine une société telle qu’elle pourrait l’être dans les années 2500 (il prend moins de risques qu’Orwell dans 1984 !)
Le meilleur des mondes : De quoi ça parle ?
Huxley ouvre son roman avec cet incipit :
Un bâtiment gris et trapu de trente-quatre étages seulement. Au-dessus de l’entrée principale, les mots : CENTRE D’INCUBATION ET DE CONDITIONNEMENT DE LONDRES-CENTRAL, et, dans un écusson, la devise de l’État mondial : COMMUNAUTÉ, IDENTITÉ, STABILITÉ.
Une époque formidable !
D’office, le décor est planté.
Nous sommes en « 623 après Ford », à Londres, donc.
Le calendrier se base sur la date de la construction de la voiture !
Voilà un indice qui ne trompe pas : nous sommes dans une civilisation industrielle.
La société se divise en castes aux frontières hermétiques, voire inviolables.
Dès leur conception à la chaîne dans ces « centres d’incubation », les enfants sont destinés à devenir des Alpha, des Bêtas, des Gamma ou des Epsilon.
La hiérarchie entre ces groupes sociaux est très forte.
Les Alpha sont beaux et occupent des postes de haut rang, les Epsilon petits et destinés à devenir ouvriers.
Chaque groupe porte des vêtements d’une couleur précise, afin d’être facilement reconnaissable.

Les enfants sont conditionnés dès leur plus jeune âge.
Tout est mis en place pour qu’ils n’aiment pas la nature ou ne soient pas sensibles au beau, ni à la mort.
Les procédés s’avèrent efficaces. Ils jouent dans le mouroir pour considérer la mort comme une chose naturelle.
Et quand ils dorment, ils entendent des messages répétitifs vantant les mérites d’Henry Foster, l’administrateur de Londres, mais aussi du soma.
Les individus doivent consommer cette « drogue du bonheur » distribuée en libre-service.
Elle les plonge dans un état de bien-être. Les relations hommes/femmes relèvent du loisir et les sentiments sont interdits.
C’est donc dans cette société aseptisée et hygiéniste que vont évoluer les personnages.
Les “héros”
Qui sont-ils ?
Ils héritent leurs noms de grandes figures historiques.
Ainsi, vous rencontrerez Lénina Crowne, Bernard Marx, Henry Foster et beaucoup d’autres.
Bernard est un personnage relativement marginal, figure de l’inadaptation.
Il est assez repoussant pour un Alpha et refuse de prendre du soma.
Il ne veut pas être un imbécile heureux, comme tous les autres.
A ses côtés, Lénina : une « jeune fille très pneumatique » qui plaît à beaucoup d’hommes.
Son conditionnement est une brillante réussite, et son discours est fortement influencé par ce qu’elle a appris dans son enfance.

Ensemble, ils décident de partir au Nouveau-Mexique visiter l’une des rares réserves qui accueillent ceux qu’on appelle les « sauvages ».
Le mode de fonctionnement y est totalement inverse. Par exemple, les femmes accouchent dans des conditions naturelles (étonnant, non ?!)
Ainsi, Lénina est dégoûtée de voir qu’une femme allaite.
C’est dans cette réserve qu’ils rencontrent Linda et John.
Linda est issue de la même société qu’eux mais s’est perdue lors d’une visite.
Privée de contraceptif (les « exercices malthusiens ») et de soma, elle donne naissance (sans incubation) à John, un « sauvage » qui ne connaît donc pas la « civilisation ». C’est pourquoi il aime Shakespeare et ne vit que pour les grands et beaux sentiments.
Bernard réalise qu’il est le fils de Mustapha Meunier, l’un des administrateurs les plus importants de leur société.
Pendant que John tombe amoureux de Lénina, également intéressé par le jeune homme …

Comment ça finit ?
Bernard souhaite revenir à Londres avec Linda et John.
Il pense établir un pont entre leurs deux sociétés diamétralement opposées.
Fortement médiatisés à leur arrivée, Linda et John sont pourtant rapidement oubliés.
Linda se plonge entièrement dans le soma, préférant son emprise et ses illusions que la vraie vie.
Elle meurt quelques temps après.
Lénina regagne les rangs de la société civilisée et on arrête Bernard.
John, quant à lui, s’exile dans un phare, loin de la civilisation, mais se suicide quand une foule tente de l’approcher.
Pourquoi Le meilleur des mondes ?
Le titre anglais Brave new world est issu d’une pièce de Shakespeare, La Tempête (acte 5 scène 1).
Pour la traduction française, Jules Castier a conservé l’intertextualité et fait référence à Candide où Voltaire critique la recherche du » meilleur des mondes possibles ».
Les infos à replacer !
- Le Meilleur des mondes est le cinquième meilleur roman de langue anglaise du XX siècle, selon la Modern Library en 1998.
- Le roman ouvre une réflexion sur les normes et les civilisations : qui est vraiment sauvage ?
Est-ce John, dérangé par ce mode de vie « civilisé », tout comme le lecteur ?
Le roman d’Huxley s’est avéré précurseur des événements qui ont suivi son écriture, comme les délires eugénistes des Nazis.
- Huxley a passé quatre mois à écrire son roman… en France !
À Sanary-sur-Mer, pour être précis, un lieu pourtant différent de l’ambiance grise des îles décrites !
- En 1958, Huxley a publié l’essai Retour au meilleur des mondes.
Il y transmet ses angoisses face à un monde qui semble devenir la société qu’il avait anticipée.
- Si vous avez aimé 1984, vous aimerez sans doute Le Meilleur des Mondes !
D’ailleurs, leurs auteurs, Huxley et Orwell, étaient amis et ont échangé un certain nombre de lettres.
- Le Meilleur des Mondes devient un téléfilm en 1998 puis une série en 2020 (Brave New World, annulée après une saison, disponible sur Amazon Prime).
Mais le roman n’a pas encore eu le grand film de cinéma qu’il mérite.
Spielberg et DiCaprio seraient en train de plancher sur une adaptation (chacun la sienne !).
