« Sous les pavés, la plage … »

Il y a plus de 50 ans, l’effervescence de la jeunesse s’étendait sur Paris, ses universités, ses rues, puis sur toute la France.
Sans épargner le Festival de Cannes et sa XXIe édition, à laquelle assistaient les leaders de la Nouvelle Vague, Jean-Luc Godard et François Truffaut.
Le cinéma, miroir d’une époque
La révolution des Baby Boomers
En 1968, les adolescents et jeunes adultes sont issus du Baby Boom, période de forte natalité juste après la Seconde Guerre Mondiale.
En 1945, la jeunesse célèbrait la victoire et la vie. Vingt ans plus tard, la jeunesse en a marre !
Elle veut des changements. La Guerre du Vietnam, le Rideau de Fer, la Chine de Mao, Fidel Castro à Cuba …
Le monde entier est en ébullition et les protestations se multiplient.

En France, c’est un véritable séisme social.
Les étudiants et les ouvriers se mobilisent, la grève se généralise rapidement.
« Il est interdit d’interdire. »
Sur le point de démissionner, le Général De Gaulle décide de dissoudre l’Assemblée Nationale.
La censure et la Cinémathèque
Impossible pour le cinéma de passer à côté.
Surtout quand moins de dix ans auparavant, le Septième Art a déjà connu ses propres chamboulements, avec la naissance de La Nouvelle Vague.
Ce mouvement artistique témoigne des nouvelles structures familiales, économiques et sociales.
Il ne se satisfait pas de la censure imposée par De Gaulle.
Ainsi, la bataille autour de la sortie du film de Jacques Rivette, Suzanne Simonin, la Religieuse de Diderot (1965), qui oppose le Vatican aux défenseurs de la laïcité.
Avant cela, il y eut déjà les trois ans d’interdiction d’un long-métrage de Godard : Le Petit Soldat (1963), histoire d’un déserteur pendant la Guerre d’Algérie (thème épineux pour la Présidence).

Les relations entre le pouvoir et le cinéma se tendent définitivement en février 1968.
Le ministre des Finances, André Malraux, exige le renvoi, pour mauvaise gestion, d’un des fondateurs de la Cinémathèque française, Henri Langlois, en poste depuis 1936.
Un comité de défense se constitue.
Un grand nombre de cinéastes se mobilisent : Resnais, Chabrol, Gaudard, Berri, mais aussi Fritz Lang, Chaplin et Josef von Sternberg.
Malraux finit par cèder et réintègre Langlois à la tête de la Cinémathèque en avril 68.
Cependant, le climat reste et tout laisse présager un prochain Festival de Cannes électrique.
Festival de Cannes 68 : grève et interruption
La XXIe édition s’ouvre le 10 mai 1968, avec sa montée des marches traditionnelle, son défilé de stars et la projection d’Autant en emporte le vent (1939) de Victor Fleming.
Cependant, dès le lendemain, les événements parisiens atteignent la Croisette.
La grève générale est annoncée pour le 13 et la capitale demande l’annulation du festival.
Alors que les producteurs insistent pour le maintenir, le 17 mai, les réalisateurs envoient Claude Lelouch annoncer leur retrait à Robert Favre Le Bret, délégué général du Festival.
Grande réunion le 18. Ou plutôt énorme engueulade et début des franches hostilités entre différents intérêts : cinéastes, producteurs et public.
« Je vous parle solidarité avec les étudiants et les ouvriers et vous me parlez travelling et gros plan ! Vous êtes des cons ! »
– Jean-Luc Godard

Parmi les films en compétition : Peppermint frappé de Carlos Saura, qui doit être projeté ce jour-là.
« Les organisateurs voulaient à tout prix projeter le film parce qu’il était programmé. Nous l’avions retiré d’une façon un peu étrange (…)
Géraldine (Chaplin, l’actrice principale et sa compagne de l’époque), Elías (Querejeta, son producteur) et moi (…)
Sur l’écran, mais avec les rideaux fermés, le film commença à être projeté, avec toute la salle remplie en train de protester. Et ensuite nous sommes montés sur la scène, et nous étions là, à nous accrocher aux rideaux pour empêcher qu’on les ouvre.
Avec Godard, Truffaut, Malle, Polanski, à grand renfort de gifles.
Géraldine s’est même pris un coup de poing dans l’œil. »
_ Carlos Saura
Après de telles bagarres, le retrait de plusieurs réalisateurs en lice (Milos Forman, Alain Resnais …) et la démission de certains membres du jury, Robert Favre Le Bret annonce la clôture du festival le dimanche 19, soit cinq jours avant le terme normal.
Pas de palmarès donc pour cette édition qui n’aura projeté que huit films des vingt-sept en compétition !

La naissance d’un autre festival
Si le public cinéphile fut déçu sur le moment, il peut désormais se réjouir !
Car la grève des cinéastes et l’interruption du Festival a permis les débuts de la Quinzaine des Réalisateurs.
En mai 68, les cinéastes contestataires, surnommés « les 180 », forment la Société des réalisateurs de films (SRF).
Le Comité du Festival n’accepte pas leurs revendications et leur désir d’autonomie.
La SRF crée donc une compétition parallèle, moins étriquée et plus moderne.
Une sorte de « contre-festival » à qui l’on doit de connaître George Lucas, les frères Dardenne, Michael Haneke et Spike Lee.
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