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Maria Anna Mozart, la virtuose dans l’ombre de son frère

    Son tort : être femme

    Maria Anna, Wolfgang Amadeus et Leopold Mozart (devant le portrait de leur épouse et mère Anna Maria) par Johann Nepomuk della Croce (1780-1781)

    Pas facile de vivre dans l’ombre d’un génie, surtout quand on l’est soi-même et qu’on n’a pas son mot à dire !
    On vous raconte le destin sacrifié de l’autre Mozart, Maria Anna.

    Et Mozart créa Mozart

    Merci papa !

    Chez les Mozart, tout commence avec le père, Leopold (1719-1787) !
    C’est grâce à lui que la musique, sa grande passion, entre dans la famille.

    Fils d’un relieur, Leopold est poussé vers des études de droit, puis de théologie et de philosophie.
    Mais, rien n’y fait, il veut vivre de la musique.
    Chose faite à 21 ans, quand il lance sa carrière comme concertiste (orgue et violon).
    Ses compositions sont modestes mais rapidement remarquées et en 1743, il entre au service du prince-archevêque de Salzbourg.

    En 1747, Leopold épouse Anna Maria Pertl (1720-1778).
    Le couple a 7 enfants, mais seuls deux survivent : Maria Anna, dite Nannerl (1751-1829) et Wolfgang Amadeus (1756-1791).

    Naturellement Leopold, pédagogue reconnu, les éduque dans la musique, d’autant que ses deux enfants ont de fortes prédispositions.

    Les Mozart brothers !

    Quand Maria Anna naît, ses parents ont déjà perdu un garçon et deux filles qui portent son même prénom.
    Toute l’ambition de Leopold est reportée sur Maria Anna III.
    Il lui apprend le clavecin lorsqu’elle n’a que sept ans et pas de doute, Maria Anna est une vraie enfant prodige.

    maria anna mozart
    Maria Anna Mozart par Pietro Antonio Lorenzoni (?), vers 1760

    Puis Wolfgang Amadeus apparaît et c’est aussi un petit génie de la musique.
    Jackpot pour Leopold, qui décide de les produire dans la haute-société qu’il fréquente.
    Il vient d’ailleurs de publier une méthode de violon réputée.
    Quelle meilleure publicité pour ses talents de pédagogue que ses deux enfants doués !

    « Dieu [leur] a donné de tels talents que je serais contraint, même si ce n’était mon devoir paternel, de tout sacrifier à leur bonne éducation.
    Chaque instant perdu l’est à jamais. »

    – Lettre de Leopold Mozart

    De 1762 à 1766, Maria Anna et Wolfgang sont les coqueluches des cours d’Europe.
    Ils font plus que de la musique : de vrais numéros de singes savants.
    Ils jouent du clavecin, du violon et de l’orgue, les yeux fermés, puis avec un seul doigt …
    Munich, Paris, Londres, Vienne … Des tournées savamment organisées par Papa Leopold, qui ne les lâche pas d’une semelle.

    La fin du rêve

    Alors que Wolfgang charme de plus en plus avec ses compositions, Maria Anna devient femme.
    Pour Leopold, sa place n’est bientôt plus sur scène, mais au foyer.
    Au fur et à mesure, il la relègue au second plan et n’entraîne plus que son fils.

    Finalement, dès 1769, Maria Anna n’a plus le droit de montrer son talent artistique en public.
    Quel gâchis pour « l’une des plus habiles musiciennes d’Europe », à « la vision parfaite sur l’harmonie et les modulations » (lettres de Leopold).

    La famille Mozart, Aquarelle de Louis Carrogis Carmontelle, vers 1763

    La femme de l’ombre

    Pendant que les hommes Mozart partent en Italie pour parfaire le jeu de Wolfgang, Maria Anna Mozart est renvoyée auprès de sa mère à Saltzburg.
    Elle y vit le quotidien habituel des jeunes Autrichiennes de son époque : messes, visites sociales, promenades et surtout cours de piano, qui font vivre le foyer.

    Pendant cette séparation, le frère et la sœur restent proches.
    Dans les courriers de Leopold, Wolfgang ajoute souvent des « bisous grassouillets » à sa « soeur chérie ».

    Maria Anna n’a pas encore renoncé à composer sa propre musique.
    Elle envoie les partitions d’un morceau à Leopold, qui ne se prononce pas, mais Wolfgang le juge bon et l’encourage à persévérer.
    Amabilité fraternelle ou réelle appréciation ?
    On ne le sait pas, les œuvres de Maria Anna ayant été détruites.

    Des compositions retrouvées ?

    Après cinq ans d’études, un chercheur australien, le professeur Martin Jarvis, dit avoir identifié « l’empreinte musicale » de Maria Anna.
    Il semblerait que dans un cahier d’études pour clavecin utilisé pour éduquer le jeune Wolfgang (le Nannerl Notenbuch), plusieurs morceaux aient été composés par sa soeur aînée (identifiée comme le compositeur « Anonyme 1 »).

    « Dans le cahier, le père de Mozart écrivait quand Mozart apprenait à jouer les morceaux.
    Si sa soeur les a composés, n’est-ce que pour son entraînement ? …
    Comme petite fille du XVIIIème siècle, il est peu probable que Maria Anna ait écrit son nom sur quoique ce soit.
    On ne l’y aurait pas autorisé. »

    « Après 250 ans d’oubli, l’examen scientifique a permis d’identifier Maria Anna Mozart comme (…) la probable compositrice d’une vingtaine de morceaux de musique inscrits dans son propre cahier. »

    Exemple de morceau désormais attribué à Maria Anna Mozart.

    L’émancipation de Wolfy

    Et puis, ce qui devait arriver, arriva : Wolfgang veut « tuer le père ».
    Enfin adulte, toujours génial, il n’a plus besoin de précepteur ni de manager, et compte bien vivre comme bon lui chante.
    La rupture a aussi lieu avec sa soeur, qui se rapproche soudain du vieux Leopold rejeté.

    En février 1778, la famille apprend que Wolfgang veut suivre sa maîtresse (et future belle-sœur), la soprano Aloysia Weber, en Italie.
    Maria Anna en pleure pendant deux jours : son petit frère goûte à la vie qu’elle ne peut avoir. 

    Les inséparables d’antan partagent encore quelques instants privilégiés ensemble, comme une séjour à Munich en plein carnaval 1781.
    Wolfgang lui propose même de l’héberger lorsque Maria Anna songe à épouser le capitaine Franz Armand d’Ippold contre l’avis de Leopold.

    Mais la frustration de l’une et le désir d’indépendance de l’autre les séparent.
    Le mariage de Wolfgang avec Constance Weber, que Maria Anna déteste, marque la fin de leur relation fraternelle.
    Le frère et la sœur se rencontrent pour la dernière fois en 1783.

    Vie tristement rangée

    Mari, enfant …

    En 1784, à 33 ans, Maria Anna Mozart épouse le gouverneur Johann Baptist von Berchtold zu Sonnenburg.
    Un nom à rallonge qui fait plaisir à Papa, mais une situation familiale qui l’éloigne définitivement de son rêve.
    Son baron de mari lui apporte un train de vie confortable et cinq enfants de ses deux précédents mariages.
    Sans compter le garçon et les deux filles que le couple a ensemble.
    Les cours de musique que Maria Anna leur donne sont le seul lien qui la rattache encore à son ancienne vie.

    Maria Anna Mozart

    … et amertume !

    Pendant ce temps, Wolfgang tire le diable par la queue, constamment en manque d’argent malgré une production prolifique.
    À la mort de Leopold, il tente un rapprochement avec sa sœur, mais uniquement pour un coup de pouce professionnel.

    « Sœur chérie !
    Tu aurais raison d’être fâché contre moi !
    Mais le seras-tu encore lorsque la diligence t’aura apporté mes dernières compositions pour piano ?
    Oh non ! Cela remettra, j’espère, les choses en place. […]
    Je dois maintenant te demander quelque chose : j’aimerais que Haydn me prête pour quelque temps les partitions de ses deux messes en tutti et les graduels qu’il a composés […].
    Invite-le à venir te voir et joue- lui mes nouvelles compositions – le trio et le quatuor ne lui déplairont pas. »

    Pas sûr que Maria Anna, dont le caractère s’est aigri, lui soit venue en aide.
    Lorsqu’en 1792, un biographe tient à écrire sur la vie de Wolfgang, décédé un an plus tôt, Maria Anna n’évoque que leurs années de jeunesse
    Pas un seul mot gentil pour l’adulte qu’il était, et encore moins pour Constance, sa veuve « mal assortie à lui » !
    Ironie du sort, c’est à deux pas de sa belle-soeur détestée qu’elle s’installe à la mort de son mari en 1801

    Maria Anna décède en 1825, aveugle, désœuvrée et rongée de remords.

    « La biographie de Mr. Prof. Niemetschek a complètement ravivé mes sentiments fraternels envers mon frère, si ardamment aimé que souvent je sanglotais, ne m’étant aperçu qu’il y a peu de la triste condition dans laquelle il se trouvait. »

    – Lettre de Maria Anna en 1801

    En savoir plus

    Nannerl, la sœur de Mozart, film de René Féret (2010)
    Tout Mozart. Encyclopédie de A à Z, par Jérôme Bastianelli (Bouquins, Robert Laffont)
    Mozart. Correspondance complète. ed. de Geneviève Geffray (Flammarion)
    Mozart : une vie, par Solomon Maynard (HarperCollins)

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