“… je ne suis pas très heureuse actuellement …”

Nina Simone est l’une des plus grandes divas du jazz, connue mondialement pour des reprises si personnelles qu’elles lui sont presque attribuées.
Comme “Feeling good”, “My baby just cares for me”, “I put a spell on you” et même “Ne me quitte pas”.
Pourtant, cette célébrité ne la combla pas …
Retour sur les déboires d’une artiste exceptionnelle.
Une vocation volée
“Je suis désolée de ne pas être devenue la première pianiste classique noire au monde.
Je pense que j’en aurai été plus heureuse, je ne suis pas très heureuse actuellement.”
– Interview 1991
Nina Simone (1933- 2003) a toujours rêvé d’être concertiste.
À l’âge de 3 ans, celle qui s’appelle encore Eunice Waymon commence à jouer du piano pour ses parents et ses 7 frères et soeurs.
Elle reproduit les cantiques d’église préférés de sa mère.
Devant ses grandes dispositions, elle commence une formation classique, à peine deux ans plus tard.
Au fil des années, le talent de la jeune pianiste se confirme.
Elle est si douée que ses voisins organisent une collecte de fonds afin de lui permettre d’intégrer les meilleures écoles.
Ainsi, Nina Simone passe l’été 1950 à se perfectionner dans la célèbre Juilliard School de New York.
Elle y prépare le concours d’entrée pour le très sélect Curtis Institute of Music de Philadelphie.

C’est là que son rêve se brise.
“On m’a refusé une bourse d’études et on ne m’a pas donné la possibilité de commencer une carrière de pianiste classique parce que j’étais noire.”
Empêchée d’atteindre son but, Nina Simone se met à travailler, dès l’âge de 21 ans, comme pianiste dans un restaurant d’Atlantic City.
Sous la pression du patron, elle se met à chanter du jazz pour les clients.
Sa voix la rendra célèbre mais rien ne lui fera jamais oublié son rêve de petite fille …
Des luttes frustrantes
L’injustice, Nina Simone la connaît depuis toujours.
Descendante d’esclaves, elle grandit dans une famille nombreuse qui, économiquement, s’en sort difficilement, notamment après la crise de 1929.
Le racisme est frontal, les États-Unis revendiquant encore ses lois ségrégationnistes.
Un épisode marquant : lors du premier récital classique de Nina dans son église.
Un couple de blancs demande à ses parents de leur céder la place au premier rang.
Alors qu’ils ne peuvent refuser, la petite fille d’à peine 10 ans refuse de jouer tant qu’ils n’auront pas repris leur siège.

Nina Simone montrera la même intolérance à l’injustice tout au long de sa vie.
Lorsqu’elle reprend “I Loves You, Porgy” de George Gershwin (qui devient son premier grand succès en 1959), elle refuse de chanter l’erreur grammaticale (loves au lieu de love), qui moque l’analphabétisme d’une femme noire des quartiers pauvres.
À 30 ans, Nina Simone lutte activement pour les droits civiques.
Elle s’engage en chanson (comme avec “Mississippi Goddam” et “I Wish I Knew How It Feel Feel to Be Free”) mais pas seulement.
En 1965, elle participe aux marches de Selma à Montgomery pour obtenir le droit de vote des Afro-américains.
La chanteuse adhère à l’approche radicale prônée par Malcolm X plutôt qu’à celle non-violente de Martin Luther King.
En 1969, lors d’un concert à Harlem, elle interpelle son public : “Are you ready to do what is necessary” (“Êtes-vous prêts à faire ce qui est nécessaire ?”). Elle attend la promesse d’une véritable révolte, mais ses fans n’y voient qu’un moment de show.
Comme le renversement dont elle rêve n’arrive pas, Nina Simone finit par quitter les États-Unis l’année suivante.

Une vie privée décevante
« J’aurais aimé que Dieu me prévienne qu’il fallait que je me sacrifie en tant que femme pour la musique ».
Sa vie privée n’a pas non plus réussi à combler Nina Simone.
En 1958, elle épouse Don Ross, un ami beatnik, dont elle divorce rapidement.
Trois ans plus tard, elle se remarie avec Andrew Stroud, dont elle aura une fille, Lisa Celeste.
Son compagnon policier s’improvise manager, devient violent et la traite “comme une bête de somme”.
Elle découvre, plusieurs années après leur séparation, qu’il l’a volée et qu’un mandat d’arrêt est émis contre elle pour impôts impayés.

Nina Simone fuit au Libéria, laissant sa fille aux États-Unis.
La séparation empire leur relation déjà difficile, la chanteuse faisant également preuve d’un caractère violent.
Les autres histoires d’amour de Nina ne font pas long feu et c’est seule qu’elle s’installe finalement en France en 1993.
Une fin de vie difficile
Nina Simone aurait averti qu’elle mourrait à 70 ans “parce qu’après, ce n’est que de la douleur”.
Malheureusement, avant aussi …
Les années 1990 ne lui ont apporté que le diagnostic de troubles bipolaires, l’alcoolisme, un cancer du sein et une peine de prison avec sursis pour violences sur un voisin.
Après une longue traversée du désert, la reprise de son tube “My baby just cares for me” pour la promotion du Chanel nº5, la remet au goût du jour.
Mais ce succès ne lui rapporte rien : elle a (mal) vendu ses droits d’interprétation trente ans auparavant.
Nina Simone s’éteint seule, dans son sommeil, le 21 avril 2003.
