Dégringolade et démission
L’événement a fait le bonheur des journaux de l’époque.
Paul Deschanels, le tout fraîchement élu Président de la République, est passé par la fenêtre d’un train en marche et s’est retrouvé sur le quai, en pantoufles et pyjama !
Retour sur le jour qui fit basculer (!) la vie d’un homme.
Paul Deschanels, pas n’importe qui !
On l’imagine ridicule au bord des voies, mais pourtant, avant ça, Paul Deschanels, c’est quelqu’un !
Il a baigné dans la politique depuis toujours.
Son père, l’écrivain Émile Deschanels, s’est fermement opposé à Napoléon III.
Par conséquent, c’est l’exil en Belgique, où naît Paul en 1855.
Après une formation en lettres et droit, c’est l’ascension politique.
Dès l’âge de 21 ans, Paul Deschanels gravit les postes pour atteindre les sommets.
Pas étonnant que Victor Hugo, le compagnon d’infortune de son père, le considère comme son filleul spirituel.
De simple collaborateur, il devient sous-préfet, puis député pendant neuf législatures successives.
Ses talents d’orateur en font la coqueluche des républicains modérés.
En parallèle, Paul Deschanel est notamment élu à l’Académie française.
Ses talents d’orateur en font la coqueluche des républicains modérés.
Lors des élections présidentielles de 1920, Paul Deschanels écrase le favori Georges Clémenceau, surnommé « Père la Victoire » de la Grande Guerre, et succède à Raymond Poincaré.
Un parcours impeccable qui n’explique donc pas pourquoi, trois mois après avoir pris les manettes de l’État, Deschanels est passé par la fenêtre en pleine nuit !
Un président dans le train
L’explication est simple : le président fait un burn out.
Il a présidé la Chambre des députés pendant toute la Première Guerre mondiale, a participé aux négociations avec l’Allemagne, a enchaîné avec la rédaction d’une biographie, et s’est lancé dans une campagne présidentielle, pour une fonction qu’il trouve frustrante.
On serait surmené à moins !
Dès le mois d’avril 1920, son entourage s’inquiète de ses fréquentes crises d’angoisse.
Pourtant, il faut bien assurer le job, alors le 23 mai 1920 au soir, Deschanels prend le train pour Montbrison où il doit inaugurer un monument.
Peu avant minuit, le train passe près de Montargis et heureusement roule à faible allure.
Car c’est le moment que choisit un Deschanels en pyjama pour aérer la cabine.
Pas de chance, il a pris un hypnotique, fait une forme de somnambulisme appelé syndrome d’Elpénor, et la fenêtre est à guillotine. Il bascule facilement …
… Et se retrouve ensanglanté dans le décor !
Le miracle avant la honte
Tombé sur le ballast, le président Deschanels aurait pu y laisser la vie.
Il n’en est rien, l’homme de 65 ans n’a que quelques blessures superficielles.
En pantoufles et pyjama, il doit suivre les voies sur 2 kilomètres avant de rencontrer un cheminot … Qui évidemment, ne croit pas être en présence du chef de l’État !
Dans le train, l’équipe du président le croit en train de roupiller et ce n’est qu’à 7 heures du matin, que l’on s’aperçoit de son absence.
À une époque qui ne connaît ni Internet, ni le téléphone portable, il faut encore une bonne journée à Deschanels pour rentrer à Paris. La presse, elle, ne tarde pas tant et malgré les précautions prises, l’aventure improbable s’étale dans tous les journaux dès le 25 mai.
La présidence tente de sauver les meubles avec un communiqué officiel et en accusant le système d’ouverture des fenêtres à guillotine.
Mais qui peut reprocher aux chansonniers et aux journalistes de faire leurs choux gras avec une histoire si rocambolesque !
Cette mésaventure n’arrange pas l’état mental du président, qui se voit contraint de démissionner en septembre 1920. À peine sept mois après avoir été élu …
Paul Deschanels se met au vert puis revient en tant que sénateur.
Mais, fragile des poumons, il décède le 28 avril 1922 des complications d’une grippe.